JOURNAL
DES ARTS, Christophe Perez, rubrique événements, p. 3, mars-avril
2003 (n° 167)
SI tu n'existais pas...
Entretien avec Marc-Olivier Wahler, directeur
du Swiss lnstitute de New York
Le SI (Swiss Institute -Contemporary Art), à New York,
présente jusqu'au 26 avril l'exposition "Extra" réunissant
artistes français et suisses tels que Virginie Barré, Olivier
Blanckart, Stéphane Dafflon, Wim Delvoye, Daniel Firman, Fischli
& Weiss, Sylvie Fleury, Gianni Motti, Bruno Peinado, Stéphane
Sautour et Roman Signer. Comment une association pour la promotion
de la culture suisse (cf. encadré) est-elle devenue un centre
d'art contemporain de renommée internationale qui présente
des artistes de tous les horizons)? Marc-Olivier Wahler, directeur
artistique du SI, explique ses choix et sa politique d'exposition.
Pourquoi avoir voulu limiter la programmation du SI
à l'art contemporain ?
Dès ma prise de fonctions, en octobre 2000, j'ai fait valoir
l'idée que l'art contemporain, loin d'être une activité autarcique,
induisait naturellement une ouverture à d'autres domaines
: la littérature, la musique, la danse... Ainsi, notre exposition
réunissant Ugo Rondinone, Urs Fischer et John Giorno était
une manière de confronter les pratiques de l'art contemporain
et de la poésie. Qui plus est, à New York, il faut avoir une
identité précise pour exister. Le SI bénéficie aujourd'hui
d'une identité forte en se profilant comme un centre d'art
contemporain. Je pense que cela a été possible parce que le
Si est une association indépendante dont les fonds proviennent
pour deux tiers du privé, Évidemment, ceci étant, notre budget,
plutôt modeste, fluctue beaucoup en fonction de l'économie
générale et c'est un combat de tous les jours pour trouver
de l'argent. Mon travail est un grand travail de conviction
; il s'agit d'avoir des idées radicales et un peu folles et
de les faire passer.
Comment définissez-vous votre programmation ?
Pour moi, diriger un centre d'art contemporain consiste d'abord
à se demander comment l'adapter continuellement pour rendre
compte de la pratique artistique actuelle. Cela ne m'intéresse
pas de simplement aligner les bonnes expositions les unes
après les autres. Travailler un programme participe d'une
obsession. Je n'irais pas jusqu'à dire que le commissaire
d'exposition est un artiste, mais il s'agit d'élaborer un
langage d'exposition. J'ai conçu le programme actuel sur quatre
ans, suivant une problématique qui m'intéresse, à savoir:
quels sont les rapports, les liens, les tensions entre l'art
et la réalité ? Aujourd hui, par exemple, la physique quantique
a démontré que les univers parallèles peuvent exister. S'ils
existent au niveau quantique, pourquoi pas à d'autres niveaux
? C'est une question qui préoccupe autant les physiciens et
les philosophes que les artistes. Je suis notamment passionné
par ce transfert constant entre ces univers parallèles que
sont l'art et la réalité. En 2001, nous avons transformé le
SI en bureau de vote avec Fabrice Gygi, en casino illégal
avec Sislei Xhafa, en lieu de visite du pape avec Gianni Motti…
L'aboutissement de cette réflexion est l'exposition "Extra".
Aujourd'hui, l'art est une plate-forme qui peut mener à tout,
à la physique quantique comme à la proctologie, en passant
par le stand de tir et le concours de iodle…
Quelle est la réaction du public face aux jeunes artistes
européens exposés au SI et souvent inconnus aux États-Unis
?
L'exposition d'Eric Hattan, par exemple, a été chroniquée
dans le New York Times, ce qui est extraordinaire pour un
artiste qui n'avait jamais exposé aux ÉtatsCrus. Cela signifie
que le SI véhicule une image de qualité. Je pense qu'une des
fonctions premières d'un centre d'art est de promouvoir la
jeune création. Mais pour le public new-yorkais, cela revient
au même que l'on expose un très jeune artiste inconnu de tout
le monde ou un artiste comme Gianni Motti, déjà connu en Europe.
En revanche, quand on expose un artiste inconnu après Jim
Shaw on Ugo Rondinone, le travail du premier en est valorisé,
car il est mis sur le même plan que celui de plus renommés.
L'objectif est justement d'acquérir une aura internationale
pour que de jeunes artistes puissent en bénéficier.
Maintenant que vous avez atteint l'objectif de faire
du SI un centre d'art contemporain reconnu, quel est le prochain
défi pour le lieu ?
C'est d'étendre l'action du SI et de multiplier les lieux
d'exposition. Ce travail a déjà commencé, notamment avec l'exposition
"Liquid Sky" au FRAC Bourgogne, à Dijon, liée à une autre
au SI. Partant du constat que le lieu d'art peut être situé
n'importe où, nous avons pensé le catalogue d' " Extra" comme
tel, en offrant à vingt-huit artistes un espace libre sur
dix à douze pages. Si le lieu d'exposition petit s'activer
quel que soit l'endroit, que devient dès Iors la notion d'exposition
? Il y a là un challenge qui m'intéresse. Pour l'exposition
de Jutta Koether et Steven Parrino, fin 2002, nous nous sommes
demandés à quoi pourrait ressembler le Cabaret Voltaire aujourd'hui.
Leur installabon a servi de scène à une série de concerts
de "noise". Chaque fois que j'invite un artiste, je lui demande
de sortir de son confort et de collaborer autant que possible
avec un musicien, un cinéaste, un chauffeur de taxi… On parle
aujourd'hui beaucoup d'événement ou de projet au détriment
de l'exposition, qui a des résonances un peu vieillotes. Pour
ma part, je pense vraiment en terme d'exposition, mais toujours
avec l'idée de remettre en question son mode de fonctionnement.
EXTRA,
jusqu'au 26 avril, SI, 495 Broadway, 3ème étage, New York,
tél. +1 212 925 2035.
Le SI, un lieu singulier à New York
Par son histoire et son fonctionnement, le SI, à New York,
est un lieu atypique. Son statut est celui d'une association
américaine à but non lucratif, fondée en 1986 pour promouvoir
un dialogue culturel entre la Suisse et les Etats-Unis. Bien
qu'elle reçoive depuis son origine une aide annuelle de Pro
Helvetia, fondation pour la promotion de la culture suisse
basée à Zurich, elle ne lui est pas directement affiliée,
comme le sont les centres culturels suisses, notamment celui
de Paris. Le budget du SI est alloué en premier lieu par des
sponsors et des mécènes, mais aussi, si l'économie est favorable,
par les plus-values générées par les fonds de la fondation
qui lui est propre, ou encore par des événements organisés
à son bénéfice, comme des dîners ou des ventes aux enchères.
Aux subventions publiques accordées par Pro Helvetia s'ajoute
depuis 1990 une aide de l'Office fédéral suisse de la culture,
équivalent du ministère français de la Culture.
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