Swiss Institute - Contemporary Art
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LE TEMPS, Arnaud Robert, September 27, 2002

Sur Broadway, le Swiss Institute se voit comme le bombardier furtif de l'art contemporain. Deux ans après que le Neuchâtelois Marc-Olivier Wahler a pris la direction du Centre d'art new-yorkais, sa démarche subversive est en phase de bouleverser les règles du microcosme urbain .

Samedi de septembre, au 495 Broadway. L'air vicié par les gaz d'échappement n'empêche pas les meutes d'acheteurs compulsifs de déambuler sur l'artère marchande. De temps à autre, une silhouette de noir vêtu, un couple d'Américains en costume de mormons, de jeunes gens aux sacs en bandoulière s'enfilent dans le Swiss Institute. Soir de vernissage à New York, où l'artiste californien Jim Shaw - qui vient d'inventer une nouvelle religion baptisée le O-isme - se pose à distance de ses propres œuvres, grands tableaux circulaires peints comme des cibles.

Dans l'institut au sol boisé, le directeur Marc-Olivier Wahler, Neuchâtelois de 37 ans, s'apprête à rompre le tabou suprême - dans le contexte états-unien s'entend. Il allume une cigarette. Quelques jours plus tard, dans un restaurant français de Soho, il cite parmi mille autres références Pierre Joseph qui a décrit les centres d'art comme des lieux "hors la loi, baignés dans une immunité diplomatique perpétuelle". Ancien directeur du Centre d'art de Neuchâtel, Marc-Olivier Wahler vit à New York depuis deux ans. Chaque jour, il expérimente (et déjoue) les limites imposées par une cité, place mondiale du marché de l'art mais engoncée dans sa propre suprématie. "Ici, dit-il, l'art est calibré pour le marché. Quantitativement, c'est énorme. Qualitativement, c'est décevant."

Il est là, pourtant. A la tête d'un espace dont le fonctionnement se distingue radicalement du Centre culturel suisse de Paris, par exemple. Le Swiss Institute est financé pour sa plus grande partie par des fonds privés, "c'est-à-dire à l'américaine, administré par un conseil". La subvention accordée par l'Office fédéral de la culture et Pro Helvetia ne représente qu'un tiers du budget estimé cette année à 550 000 dollars. Pour survivre, donc, et trouver sa place dans cette fourmilière culturelle, Babylone de galeries chics, Wahler alterne les stars (Eric Hattan, Uri Tzaig, Giacometti) et les artistes émergents. Il a, par exemple, invité le Genevois Fabrice Gygi sans que le Swiss Institute de Wahler n'ait vocation particulière à défendre la création helvétique.

"Je ne veux pas du tout représenter la Suisse. Cela ne m'intéresse pas. Si j'invite des artistes suisses, c'est seulement parce qu'il existe là un nombre impressionnant de projets de qualité. C'est un peu comme la Coupe du monde de football. Tous les quatre ans, environ, les pays où la création foisonne changent. Et on ne sait jamais pourquoi." Agitateur professionnel, métaphoriste d'inclination, Marc-Olivier Wahler, dans cette ville qui ne dort pas, compare les artistes à l'inspecteur Columbo. Seuls citoyens qui ont le temps aujourd'hui de se promener, d'errer, de se tromper. Alors, le curateur refuse les croyances romantiques liées à l'artiste inspiré, accoucheur de sa propre œuvre. Il n'hésite pas à intervenir largement dans le processus de création. A la manière d'un DJ. Mais il en parle tout de même, de ses artistes, comme de "sourciers du Jura", dotés d'un don de voyance. Le 11 septembre 2001, au Swiss Institute, il devait inaugurer une exposition intitulée "Mayday", entièrement consacrée aux visions apocalyptiques d'artistes contemporains. Le vernissage, bien sûr, a été annulé. Il n'en reste pas moins que, selon lui, "le 11 septembre était déjà perceptible depuis longtemps dans les œuvres". L'attaque terroriste conforte la théorie de la furtivité que Marc-Olivier Wahler développe dans des revues d'art et sur son territoire. "Le furtif est une notion utilisée d'abord par les militaires. Elle sied aux terroristes qui s'infiltrent discrètement dans la société et lancent en secret une opération spectaculaire. Mais aussi aux artistes qui n'affrontent plus le monde mais s'y infiltrent." Comme des virus.

La démarche, insolite dans un milieu relativement normalisé, commence à payer. Les chroniques sur le Swiss Institute parues dans de grands quotidiens ou des journaux spécialisés s'amassent dans un classeur opaque. Marc-Olivier Wahler commence à donner un nom à ce centre créé en 1986. Après l'exposition Jim Shaw, dès le 12 novembre, le performeur Steven Parrino introduit des acteurs majeurs de l'avant-garde musicale, dont Christian Marclay et le Japonais Merzbow. Espace à suivre.