Les entreprises intéressées se félicitent de compter parmi leurs usagers un public prescripteur qui donne à leurs technologies un je-ne-sais-quoi de branché. Mais à force de gratter les références de l’art ou du design à la recherche d’un supplément d’âme, certaines finissent par tomber sur un os : des artistes qui voient en elles plus qu’un simple motif, une matière, une méthode, un modèle d’après lequel produire un contre-modèle.
Etendard. Ainsi, en 2014, alors que les personnalités les plus influentes du monde de la création se pressaient à Venise pour l’ouverture de la Biennale d’architecture confiée à Rem Koolhaas, quatre architectes ont eu l’idée géniale de faire flotter parmi d’officiels pavillons nationaux un étendard Airbnb. Leur pavillon pirate, installé dans un appartement loué, devait révéler l’impact gentrificateur de la technologie et de la share economy sur l’architecture, l’urbanisme et la vie domestique, où se confondent consommation, production et reproduction.
Carrément baptisé AIRBNB Pavilion, le quatuor formé par Fabrizio Ballabio, Alessandro Bava, Luis Ortega Govela et Octave Perrault entre en contact avec les équipes de la plateforme communautaire quelques semaines avant l’ouverture de la Biennale. Quand bien même ils parasitent clairement le nom de l’entreprise, celle-ci ne leur oppose aucune résistance : le pavillon, aussi critique soit-il, valide en quelque sorte le modèle culturel d’Airbnb.
Pastiche. Dans les mois qui suivent, les architectes enchaînent partout dans le monde et sous la même appellation différents projets, dont une conférence au prestigieux Swiss Institut de New York, à laquelle participent deux employés d’Airbnb. Il semble que les initiatives du Pavilion soient tellement pertinentes qu’elles créent la confusion jusque dans les rangs de l’entreprise californienne et laissent penser dans la communauté à une affiliation officielle.
La marque, dépassée par son image, finit par faire peser sur les pirates toute la charge de leur succès et fait valoir son droit ce printemps. Contraint par voie légale, le collectif poursuit depuis la semaine dernière ses recherches sous le nom ÅYRBRB, pastiche soufflé par le duo Metahaven où se mêlent esthétique IKEA, génération Y, Bed and Breakfast et prophétique abréviation de «be right back». Ainsi, l’affaire révèle l’état du capitalisme, qui après avoir étouffé ceux qu’il a nourris pendant des décennies se branche désormais sur une bourgeoisie sans classe, non seulement ouvrière consciencieuse de la gouvernance algorithmique, mais aussi propriétaire du goût et de la culture contemporaine.